Revenir les bras vides d’une maternité après la perte d’un enfant, voilà un événement courant,mais très particulier. Pour le comprendre, il faut tout d’abord rappeler que venant du latin « dolus » ; « dolore », le mot deuil signifie douleur, souffrance dans l’âme. Cette souffrance, cette déchirure que les mots ne peuvent expliquer face à la mort d’un proche. C’est donc un processus d’adaptation suite à la perte d’un être cher, qui comporte des étapes qui se vivent différemment en fonction de la particularité de chaque être humain. On parle alors du travail de deuil pour petit à petit gérer ce flot d’émotions, d’histoires et de souvenirs que provoque la disparition du proche.
Que se passe- t-il lorsque à une naissance, un moment qui matérialise la vie dans toute sa splendeur, la mort survienne ? Comment expliquer qu’à ce moment-là, ce soit plutôt le corps inerte et sans vie d’un petit être dont on a pourtant senti les mouvements énergiques ? Ce petit être qui grandissait dans notre utérus, que l’on chérissait, qui faisait déjà partie de notre vie, comment expliquer qu’avant d’arriver au terme de la grossesse il ne soit plus ?
A peine connaissions nous ce tout petit, qu’il s’en allait déjà quelques jours ou quelques mois plus tard ; nous laissant sous le choc, désemparés, désespérés ? Ainsi, comment vivre avec ce contre sens, ces réalités contre nature qui frisent l’absurdité que sont le décès périnatal et donc le deuil périnatal ?
Le deuil périnatal,qu’est-ce que c’est ?
Le décès périnatal est la mort d’un bébé qui survient au cours de la grossesse, lors de l’accouchement ou dans sa première année de vie. On parle alors de deuil périnatal pour faire référence au deuil vécu par les parents lors du décès de leur bébé.
OUI ; revenir les bras vides est une tragédie que malheureusement de nombreuses familles ; de nombreux couples et même des personnes célibataires vivent partout autour de nous. C’est une situation insoutenable qui laisse les personnes affectées dans l’incompréhension ; ne sachant quoi dire, que faire et vers qui se tourner. De plus, cela nourrit le silence, le malaise et le mal-être tout autour ; rendant la situation taboue et aboutissant au fait que personne n’en parle dans les hôpitaux, dans la famille et dans les médias. Il est pourtant très important d’en parler pour aider et accompagner les parents endeuillés, pour former le personnel soignant à améliorer sa prise en charge dans ce type de situation et pour sensibiliser les proches sur la conduite à tenir.
Par ailleurs, ce qui rend encore la situation plus difficile, c’est le fait pour l’entourage de penser que la peine est proportionnelle au nombre de semaines de vie du bébé ! Pour faire simple, c’est croire qu’une femme qui a fait une fausse couche à deux mois de sa grossesse sera moins affectée que celle qui a tenu son bébé mort-né dans les bras !
Ce qui est faux ! La manière dont on vit la perte est influencée par notre histoire, notre vécu, notre désir d’enfant et tout ce qu’on projette dans notre maternité…C’est beaucoup plus complexe que ça. Comme tout deuil ; c’est très difficile ; ça l’est encore plus quand il s’agit d’un bébé dont la vie s’arrête avant d’avoir commencé.
Revenir les bras vides, pourquoi c’est si dur ?
Tout d’abord,dans notre culture, l’enfant n’appartient pas qu’au couple, mais aussi à tout le reste de la famille, ce qui agrandit la douleur ressentie. Il y a aussi la grande famille, que dira-t-on aux grands-parents, tantes, cousins et cousines ? Ces derniers ne sachant d’ailleurs pas quelle attitude adopter, n’aborderont presque jamais le sujet de peur de réveiller la douleur des parents. Que dire aux autres enfants de la maison ? Comment réagir face à ce berceau vide et à toute la layette qu’on a préparé pour attendre notre petit bout de chou ?
Ensuite, comment se comporter avec le conjoint ? Toi qui a besoin de lui ; besoin de voir son chagrin pour mieux le soutenir ; besoin de parler de ce qui s’est passé pour pouvoir avancer; lui qui pense devoir être fort pour vous deux en ne laissant rien paraître, en évitant le sujet par peur de te voir craquer ; en se réconfortant comme il le peut, mais loin de toi…En outre, comment rester soudés dans cette épreuve et empêcher que le vide causé par l’absence de votre tout petit ne finisse par vous éloigner l’un de l’autre ?
Enfin, comment gérer sa santé physique, ce corps qui a bel et bien porté un enfant qui n’est plus là ; ce corps dont la moindre douleur, la montée laiteuse ; les cicatrices post opératoires nous rappellent jusque dans notre chair la présence passée et la présente absence de notre bébé ??
Il est vrai qu’avec toutes les avancées dans le domaine médical, les médecins ont le moyen de mieux suivre l’évolution du bébé anticipant ainsi tout danger et permettant au même moment aux parents de le voir grandir et donc de s’y attacher. C’est cet état de choses qui accroît encore le désarroi des parents au moment du décès. Voilà autant de questions qui soulignent la profonde difficulté du deuil périnatal au sein d’une famille.
Le deuil périnatal, quelques réactions observées…
Comme pour tout autre deuil ; on va :
- Etre sous le choc ; puis nager en plein déni ; se dire que ce n’est pas vrai ;
- Avoir mal, très mal quand on va réaliser que c’est vrai et se sentir coupable. J’aurai dû faire plus attention, aller à l’hôpital plus tôt. ..
- Ressentir de la colère contre soi- même ; contre les autres ; imputer la responsabilité à d’autres facteurs (hôpital ; travail ; famille, etc…)
- Déprimer, rester centré (e) sur sa douleur ;
- Se reconstruire malgré la douleur, recommencer à s’ouvrir à de nouvelles choses ;
- Accepter ; avancer et reprendre le cours normal de sa vie malgré la perte.
Chez la femme…
Le décès périnatal dans un couple est douloureux pour tout le monde, mais le ressenti n’est pas le même. On observe donc, chez la femme, des réactions plus intenses à cause du lien affectif plus fort qui grandit pendant la grossesse. Elle peut:
- avoir une sensation d’échec, se sentir honteuse ou coupable de n’avoir pas pu mener sa grossesse à terme (encore plus avec les connotations auxquelles renvoie la maternité dans la culture africaine)
- douter de sa capacité à concevoir et ressentir de l’anxiété face à une prochaine grossesse
- ressentir un vide et avoir l’impression d’avoir perdu une partie d’elle-même
- avoir l’impression d’avoir déçu son conjoint et son entourage
Chez l’homme…
Couramment négligé, il est tout autant affecté que sa partenaire et aura un vécu différent du deuil périnatal ; il peut:
- justement se sentir isolé parce que l’attention est dirigée vers sa femme
- se sentir impuissant
- avoir le sentiment d’avoir échoué dans son rôle de protecteur e de pourvoyeur de la famille
Toutes ces réactions ne sont pas les mêmes partout, mais peuvent nous aider (entourage , personnel soignant) à comprendre les parents endeuillés pour ensuite mieux les accompagner.
Le deuil périnatal,jusqu’où ça peut aller ?
Le deuil -et tout son cortège d’émotions- constitue un ensemble de réactions normales face à la perte d’un être cher. Cependant dans le cas du décès périnatal, le choc de l’annonce du décès, s’il n’est pas bien géré et bien accompagné, peut avoir des conséquences graves sur la santé et le quotidien des personnes endeuillées.
Dans certains cas, l’enfant a été le fruit de plusieurs années d’attente ; d’espoir ; d’allées et venues dans les hôpitaux ; la seule possibilité d’être mère ; de renforcer son estime de soi en tant que femme
Dans d’autres cas encore, sa venue symbolisait retrouver sa féminité à travers sa maternité ; redorer son honneur au sein de la belle famille, consolider sa relation avec son homme ; avoir un enfant leur permettait de passer de l’identité de couple à celle de parents , étape importante pour certains dans la maturation d’une relation à long terme.
Ce sont donc la nature et l’intensité des liens tissés avec le bébé ; et la signification consciente et surtout inconsciente que cette grossesse a pour les parents qui déterminent la gravité du deuil qui survient.
Quelques séquelles dans la vie des personnes affectées…
Après tout ce qui a été dit plus haut, voici pourquoi perdre un enfant de cette manière reste un traumatisme qui peut :
- conduire à un deuil pathologique ; c’est-à-dire que la personne reste bloquée à une étape de son deuil un peu plus longtemps que la normale ; ça peut être le déni par exemple, refuser la réalité et y rester figé ;
- causer une dépression ; le sentiment de tristesse ayant perduré et s’étant installé avec un profond sentiment de culpabilité ; la douleur devenant le seul lien avec le bébé parti trop tôt.
- induire l’isolement, le repli sur soi, l’évitement des situations sociales dans la crainte de « craquer »
- provoquer des troubles psychosomatiques, c’est à dires des malaises physiques qui trouvent leur origine dans le mal être psychologique de la personne : insomnie ; maux de tête ; douleurs musculaires ; maux d’estomac ; hypertension ;etc …
- entraîner une perte de l’estime de soi sur un plan personnel, douter de son corps, de sa capacité à donner la vie. Et sur un plan collectif, les parents peuvent développer un sentiment de honte et d’échec par rapport à leur capacité à concevoir une enfant « vivant » face au regard de autres, surtout si il y a des antécédents de deuils non résolus. Ce qui à la longue va occasionner une anxiété qui sera nocive pour les prochaines grossesses, dans le cas où les pertes ont été consécutives.
- créer un vide dans la relation du couple, des difficultés à communiquer, des manières différentes de gérer le chagrin qui aboutissent souvent malheureusement dans des cas extrêmes à une séparation ou un divorce ; le couple n’ayant pas pu s’en remettre.
Il est donc absolument nécessaire d’aider et d’accompagner ses parents tant sur le plan physique que psychologique pour prévenir les conséquences potentiellement dramatiques de la perte de leur enfant sur leur vie ultérieure.
A éviter !
C’est par exemple penser que de dire certaines phrases aux parents va apaiser leur douleur. Elles peuvent s’illustrer comme suit :
– « c’est pas grave ; vous ne l’avez pas connu ! C’était son destin ! Vous avez d’autres enfants ! »
– « Vous allez en faire un autre et ça ira mieux ! » ; alors qu’un enfant ne remplace pas un autre.
Ou encore, essayer de trouver mille et une explications au décès, refaire le film encore et encore ne va pas les soulager.
Que faire ?
Au personnel soignant ; il n’est pas facile d’annoncer une mauvaise nouvelle à un patient que l’on a suivi, mais c’est notre responsabilité de le faire et de proposer un minimum de suivi ; dans l’attitude empathique et des paroles bienveillantes. Innover en créant des groupes de parole ou de soutien dans nos maternités pour sensibiliser sur une triste réalité qui est traumatisante pour bien des personnes et dont il est difficile de s’en remettre sans aide.
A l’entourage ; la famille joue un grand rôle dans la communauté africaine. Ce n’est pas facile de savoir comment se comporter, mais il faut être présent sans être envahissant ; ne pas avoir peur d’en parler ; d’appeler le bébé par son nom si l’occasion se présente et rester dans l’attitude de soutien. Car, en parler c’est permettre à la personne affectée de se libérer petit à petit de sa tristesse, de son sentiment de culpabilité et de sa colère. C’est l’aider à prendre un peu de distance par rapport à ses émotions ; c’est les valider et marquer l’existence de ce petit être de manière positive.
Soutenir, c’est rester à l’écoute de la douleur des parents, pleurer avec eux ; ça peut être leur rendre visite, leur faire à manger ou les inviter. C’est aussi respecter leur peine ; il y en a qui ne voudront pas en parler, qui voudront avoir un moment pour eux, il faudra donc savoir rester en retrait. Si l’on ne sait pas quoi dire ou quoi faire, on peut le leur demander clairement pour éviter de les blesser par maladresse.
A vous les parents, les « paranges » sous d’autres cieux, il faudra se soutenir mutuellement ; être présent l’un pour l’autre ; en parler ; ne pas réprimer ses émotions ; les laisser nous envahir et puis les laisser repartir. Faire ensemble si possible le rituel de l’enterrement pour dire au revoir au bébé ; faire une boîte à souvenirs par exemple avec les affaires du bébé, le célébrer le jour anniversaire, se raccrocher à sa foi (pour ceux qui sont croyants) sont autant de petites choses qui peuvent vous aider à faire votre deuil progressivement ; et à trouver la force pour continuer à vivre avec sans vous laisser submerger par le chagrin. Chercher des responsables ; trouver des boucs émissaires, vous blâmer vous apaisera peut être sur le moment, mais cela ne vous le ramènera pas.
IL mérite que vous viviez, que vous appréciez davantage ce que vous avez et que vous soyez heureux. Vous l’avez attendu et porté chaque minute de sa vie, et vous l’aimerez chaque instant de la vôtre.
Prenez soin de vous…Samuella, mon psy online.
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